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Souvenir & Etat d'Ame
26 août 2004

Une Charogne. Rappelez-vous l'objet que nous

Une Charogne.

        Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
        Ce beau matin d'été si doux :
        Au détour d'un sentier une charogne infame
        Sur un lit semé de cailloux,

        Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
        Brûlante et suant les poisons,
        Ouvrait d'une facon nonchalante et cynique
        Son ventre plein d'exhalaisons.

        Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
        Comme afin de la cuire à point,
        Et de rendre au centuple à la grande nature
        Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

        Et le ciel regardait la carcasse superbe
        Comme une fleur s'épanouir.
        La puanteur etait si forte, que sur l'herbe
        Vous crûtes vous évanouir.

        Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
        D'ou sortaient de noirs bataillons
        De larves, qui coulaient comme un épais liquide
        Le long de ces vivants haillons.

        Tout cela descendait, montait comme une vague,
        Ou s'élancait en pétillant ;
        On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
        Vivait en se multipliant.

        Et ce monde rendait une étrange musique,
        Comme l'eau courante et le vent,
        Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
        Agite et tourne dans son van.

        Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
        Une ébauche lente à venir,
        Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
        Seulement par le souvenir.

        Derrière les rochers une chienne inquiete
        Nous regardait d'un oeil fâché,
        Epiant le moment de reprendre au squelette
        Le morceau qu'elle avait laché.

        Et poutant vous serez semblable à cette ordure,
        A cette horrible infection,
        Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
        Vous, mon ange et ma passion !

        Oui ! telle vous serez, ô reine des grâces,
        Apres les derniers sacrements,
        Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses.
        Moisir parmi les ossements.

        Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
        Qui vous mangera de baisers,
        Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
        De mes amours décomposées !


        Charles BAUDELAIRE

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Commentaires
H
trop cool la poesie<br />
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